Bipolarité et grossesse
Posté par association bipolaire provence le 4 juin 2013
Par
Le Docteur Michael Saada
Psychiatre
réunion du jeudi 14 mars 2013
MAJ le 04/03/16
L’on devient maman de la même façon que l’on soit une femme bipolaire ou non bipolaire. Etre maman quand on souffre de maladie bipolaire implique beaucoup, et une prise en charge importante est nécessaire. Un terme psychanalytique assez intéressant qui est la « maternalité » (1). Ce n’est pas simplement le fait de devenir mère, mais c’est tout ce que l’on projette avant de le devenir, pendant la grossesse, après l’accouchement et jusqu’à la fin de la vie. Il est intéressant de rappeler cela, car nous allons nous intéresser à la prise en charge la grossesse. Ce n’est pas au moment de l’accouchement, ni au moment où le test de grossesse est positif que tout commence. Mais bien avant, dans la réflexion, dans le désir de procréer, ou le non désir.
La grossesse est un moment particulier, unique. On parle régulièrement de crise pour évoquer la grossesse. Mot à prendre au sens de sa signification originelle. Crise, vient du mot krisis (grec). Il s’agit d’un moment « décisif », moment source de renouveau et d’enjeu. Dans l’ancien testament on l’utilisait pour évoquer un tribunal qui était hors des frontières du temple de Jérusalem. Le lieu où des juges prenaient des décisions majeures pour le peuple et tranchaient des décisions importantes. On est bien loin du terme de crise comme on l’entend aujourd’hui, avec tout le fracas psychologique et de détresse que cela peut impliquer.
Il est important pour les futures mamans qui souffrent de maladie bipolaire, d’envisager la grossesse comme un moment décisif, pour lequel elles ont leurs mots à dire, plus que comme un changement subit au cours duquel la krisis laissera place à une authentique crise. Toute grossesse désirée a plus de chance de mieux se dérouler que celle non désirée ou qui survient sans qu’on ne l’ait prévu.
Quels sont les risques pour les enfants ?
Aujourd’hui, le taux de malades atteints de troubles bipolaires dans la population générale est d’environ 1 à 2 %.
Chez les enfants dont un parent est bipolaire (père ou mère), le risque de souffrir de cette la pathologie se trouve autour des 10%. Il est d’autant plus important si les deux parents souffrent de bipolarité. Mais, la transmission génétique n’est pas vraiment établie, ce n’est pas une épée de Damoclès posée sur la tête de l’enfant. Ce n’est pas une transmission mendélienne. Les enfants de parents bipolaires ont une part d’hérédité. Ils ont une « vulnérabilité » à développer la maladie.
Le terme utilisé pour parler de gènes qu’on suspecte d’être à l’origine de la maladie, est la pénétrabilité. Ces gènes vont être dépendants de plusieurs facteurs : environnement, sévérité de la maladie, attitude des parents, celle de la mère pendant la grossesse, prises en charge de l’enfant dans sa vie, cannabis, alcool …
Encadrement de la mère
La mère doit être encadrée par les services médicaux pendant toute sa grossesse. On n’a pas vraiment de certitude sur l’impact du comportement de la mère sur la transmission du diagnostic de bipolarité de l’enfant.
Importance de la prévention de la maladie
Il y a une politique de prévention autour de la maladie. Il faut repérer au plus tôt les premiers symptômes. En ce qui concerne les enfants hyperactifs, aucune certitude n’a été établie sur le développement futur de la pathologie.
Les 9 mois de grossesse
La grossesse est possible quand on est bipolaire. Il n’y a pas de contre indication. Plus de 75% des femmes bipolaires, qui ont eu une grossesse, ont rapporté que leur entourage proche leur avait conseillé de ne pas porter d’enfant. On peut considérer que c’est une inquiétude, une peur, une crainte. Quand on a par exemple une jeune femme qui a un projet de grossesse et qu’on a vécu les différentes phases de cette maladie à ses côtés, on a peut-être peur. Mais, il faut savoir que la grossesse est possible et que dans bon nombre de cas elle se passe bien.
Il faut détruire un mythe, c’est qu’il n’y a pas d’effet protecteur de la grossesse.
Quelque rappel concernant la physiologie de la grossesse : il est très important de surveiller tous les traitements, très régulièrement, très sérieusement pendant une grossesse, car le métabolisme d’une femme enceinte n’est pas du tout le même d’une femme non enceinte. Il arrive que les femmes enceintes aient des vomissements pendant le 1er trimestre. Ce qui amène parfois à expulser aussi les médicaments. Leur absorption est alors différente. Le transit et le métabolisme sont aussi un peu au ralenti. De ce fait les traitements vont rester un plus longtemps dans le corps. Il faudra alors être scrupuleux sur les dosages, car il existe un risque de surdosage.
Traitements
Lithium
On peut être sous lithium pendant la grossesse. Cependant, il faut savoir qu’un syndrome de malformation du cœur peur survenir (syndrome d’Ebstein). Il y a une période critique appelée la période d’organogénèse (2) durant laquelle il est important de dépister totue anomalie. Il s’agit des 60 premiers jours correspondant notamment à l’organogénèse cardiaque (les deux premiers mois de grossesse). Il est très important que pendant les premières semaines et aussi les dernières semaines, la lithémie soit régulièrement dosée. On peut trouver chez le bébé des problèmes de thyroïdes. Le risque est très faible pour qu’il ait des effets secondaires, contrairement à la personne qui prend directement le Lithium.
Le bébé n’a pas de syndrome de manque à la naissance, mais présente un risque de diabète néphrogénique, diabète insipide, problème d’hydratation ou syndrome du bébé « un peu mou » est possible.
L’allaitement est contre indiqué en cas de traitement par Lithium.
Dépakine, Dépakote
Lire les articles relatifs à la Dépakine, Depakote et la grossesse : ICI
Lamictal ou Lamotrigine
Ce traitement a apporté la preuve de son innocuité dans quasiment toutes les études. La prescription est tout à fait possible et a priori sans risque, le seul souci est que le Lamotrigine est un très bon thymorégulateur « du bas », qui a un excellent effet sur la dépression et protège aussi bien que le lithium et que la Dépakote, mais est moins efficace sur les phases « hautes ». Il faudra alors, surveiller, prévenir la mère si elle a des symptômes d’agitation, d’excitation ou de désinhibition qui apparaissent et rapidement consulter. L’enjeu étant de connaître les symptômes précoces de décompensation de la maladie bipolaire.
Zyprexa, Olanzapine
Les antipsychotiques atypiques ont porté preuve de l’innocuité pour le bébé, a priori pas de risque tératogène. Même avec le Xéroquel, le Risperdal ou l’Abilify les chiffres en terme de malformation et d’impact sur le bébé sont très rassurants.
Antidépresseurs
Les vieux traitements type tricycliques n’ont aucun effet tératogène sur le bébé et la mère peut sortir de la mélancolie. De même, les ISRS, le Seroplex, le Zoloft peuvent être prescrits sans trop de risques, mais avec prudence.
Anxiolitiques, Benzodiazépines
Il vaut mieux éviter la prescription des benzodiazépines pendant la grossesse : Vallium, Xanax. Le bébé peut présenter, en cas de surconsommation, des détresses respiratoires ou lui-même un syndrome de manque que la mère n’aura pas.
Conseils
Pendant toute la grossesse, la mère doit être encadrée, avoir un psychiatre référent et le même, qui soit en lien direct avec le gynécologue et le médecin traitant, pour éviter des surprescriptions. Elle doit faire un peu plus d’échographies et un monitorage sanguin.
L’allaitement
L’allaitement est contre indiqué. Si la décision est trop difficile, elle doit être entourée psychologiquement. Pendant l’allaitement, tous les traitements sont contre indiqués, surtout le lithium. On trouvera du lait de qualité pour remplacer le lait maternel.
Troubles du post-partum
Les mères bipolaires ont plus de chance de souffrir de troubles du post-partum que les autres. La psychose puerpérale est une phase où après l’accouchement dans les heures, les jours ou les semaines, la mère peut avoir des éléments délirants, d’agitation, voire de dépression mélancolique très profonde. En suivant pendant des années des femmes qui faisaient leur premier accès psychotique à la naissance de leur enfant, on leur a alors diagnostiqué un trouble bipolaire.
Les risques sont les éléments délirants, de ne plus s’occuper du bébé, de s’oublier, de ne pas se soigner, voire de se faire du mal, en allant jusqu’aux actes auto agressifs ou de suicide. La dangerosité pour le bébé vient surtout du fait du manque de soin qu’on va lui apporter, plus que sur l’acte direct sur lui-même. Le risque que les mères fassent du mal directement à leurs enfants est infime, cela reste des cas isolés. Quand on souffre de psychose, on est moins disponible pour s’occuper du bébé et si c’est une mère isolée, c’est un peu plus compliqué. La période la plus à risque est le premier mois, mais on peut envisager une surveillance rapprochée pendant les 6 mois qui suivent la grossesse.
Le meilleur traitement de la psychose puerpérale est la sismothérapie. Si la mère ne peut en bénéficier ou si la famille refuse, le traitement de référence est alors le Lithium, souvent d’ailleurs en association à un antipsychotique atypique.
Pendant les périodes de post-partum, la mère doit bien être surveillée et rapprocher les consultations avec son psychiatre.
Divers
Si la future mère bipolaire est stabilisée depuis une longue période, elle peut envisager une grossesse sans traitement mais en étant médicalement très surveillée.
On a tendance à croire que la grossesse protège, mais cela ne serait pas le cas. Depuis 2007-2008, les revues scientifiques n’insistent plus ce sujet. Le risque serait le même en ce qui concerne les rechutes, mais l’idée est de distinguer à quel moment l’on rechute le plus souvent, est-ce au 1er, 2ème ou 3ème trimestre ? Peut-être qu’au 1er trimestre, on peut envisager que l’euphorie de la grossesse, si elle est désirée, peut un petit peu protéger la mère dans un environnement stable.
Une mère non stabilisée a moins de chance de mener à bien sa grossesse.
On peut être maman en étant bipolaire, ce n’est pas impossible.
Il ne faut pas avoir peur d’être enceinte, d’avoir un enfant bipolaire, si on a envie.
Il ne faut pas hésiter et surtout bien être entourée.
(1) le terme maternalité a été créé par le psychiatre psychanaliste Paul-Claude Racamier.
Il le définit comme l’ensemble des processus psycho-affectifs qui se développent et s’intègrent chez la femme lors de sa maternité. La maternalité commence au désir d’enfant réalisé ou non, se poursuit pendant la grossesse et après l’accouchement, elle s’estompe et s’arrête à la séparation psychique de la mère et de l’enfant (vers la fin de la première année). Bibliographie : « le mystère des mères » Catherine Bergeret-Amselek
(2) l’organogénèse est le développement des organes et systèmes organiques chez l’embryon
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